Tout était prévu pour Berne. Mon intuition dès la première nouvelle de coronavirus chez Jagger m’a fait sauter sur deux billets, places pelouse à Paris pour le 23 juillet. Et voilà, malgré les faux espoirs donnés, le concert de Berne est annulé, no comment.
Mon épouse Jerry – et avec un tel nom, impossible de ne pas être fan des Stones, vous vous souvenez bien de Jerry Hall… - elle me guide à travers Paris les quelques heures avant le concert. Ancienne diplomate de haut-niveau, elle avait servi et donc vécu ici pendant quelques temps. Les Rolling Stones font partie intégrante de notre histoire d’amour, Jerry est devenue rockeuse et une inconditionnelle des Stones en très peu de temps, à force de me fréquenter…(Avait-elle le choix ?). Nous cherchons une terrasse assez centrale pour un dernier café avant la course vers le stade – littéralement ! Je dis bien au serveur dans le quartier du Louvre que nous ne restons pas longtemps car nous allons au concert des Rolling Stones, il sursaute « quoi, vous avez des billets ??? Quelle chance ». L’après-midi avançant, nous voyons plus en plus de fans dans les rues, même en costume, des drapeaux, l’ambiance monte…
La logistique est une catastrophe, nous perdons une heure au moins. Le stress mélangé à l’excitation et l’impatience nous rend encore plus tendu. Une fois rapproché, l’artiste en première partie passe lentement, avec tout le respect pour Ayron Jones, pas mal du tout, par ailleurs. Mais ouvrir pour les Stones, ce n’est jamais facile, c’est pourquoi il nous demande plusieurs fois « Are you ready for the Rolling Stones ??? » ... Soudain, après une brève pause avec musique de fond, les Stones apparaissent sur scène, arrivés comme un voleur dans la nuit. J’étais sûr qu’il nous restait encore au moins dix minutes… « Street Fighting Man » détonne après un bref hommage à Charlie (le batteur décédé récemment) en images et en vidéos. Je suis heureux, ça fait huit ans d’attente interminable, je les vois là pour la huitième fois, la première c’était en 1995 à Prague. Mick s’introduit à la perfection au pas de course, avec des mouvements élégants et félins, quasi aucune différence avec les tournées précédentes, juste que tout semble encore plus rôdé, pleine forme. Enchaînement avec « 19th Nervous Breakdown » on reste dans les sixties, actualisé à merveille. « Out of time », surprise de la tournée me fait rêver, Mick fait chanter le public « Baby baby you’re out of time… ». Ce vieux morceau négligé est redevenu une légende avec le génie et également fan des Stones Q. Tarantino qui a mis cette chanson dans son brillant film « Once upon a time in Hollywood » avec les acteurs Leonardo Di Caprio et Brad Pitt, dans une scène surréaliste de tour en voiture à Hollywood, effectivement totalement « out of time ». L’émotion monte, et me sens vraiment ému une fois que j’entends la voix rauque de Keith, accompagner Mick dans le refrain du cover de Dylan « Like a Rolling Stone » quand il appuie « How does it feel… to be on your own… ». Cette complicité des Glimmer Twins me fait encore craquer aujourd’hui. Mon épouse Jerry chante fidèlement les morceaux les uns après les autres, elle est impressionnée par « Wild Horses » et « You can’t always get what you want » dont elle connaît toutes les paroles par cœur (et pas que le refrain !), parmi beaucoup. Ronnie, malgré un visage fatigué, assure de belles impros et complète la rythmique de « Keef », rayonnant. « Wild horses » a une histoire particulière…pour moi aussi, cela concerne comment je suis devenu un inconditionnel des Rolling Stones, mais je la garde pour une autre fois… La subtilité du son aussi agréable est une spécialité des Stones, ils jouent encore comme dans un petit club, enfumé comme au bon vieux temps. Bien que nous soyons dans un stade, j’arrive même à retirer mes boules-caisses de mes oreilles usées de 35 ans de concerts rock n’roll, c’est très rare.
C’est le moment pour le fameux « Midnight Rambler », ce blues prolongé en live, de 1969 de l’album Let it Bleed, où Jagger souffle à nouveau dans l’harmonica, textes controversés historiquement car ils traitent de la violence et du braquage…Je perds le contrôle heureusement par passion et enthousiasme cumulés (voir lien ci-dessous pour comprendre).Il est joué live quasi chaque fois depuis 1969, et les Stones ont réussi à nous surprendre en y introduisant encore 2 à 4 lignes et riffs de blues inattendus. Après 10 minutes de question-réponse au milieu du morceau entre Jagger et le public – le fameux cri « everybody say aouw ! », je hurle de tout ce que je peux le cri de la délivrance avec la reprise du blues, sur la ligne sans musique «YOU HEARD ABOUT THE BOSTON---» boom-batterie-silence » « Well now honey, it’s not one of those…”(il se réfère à l’étrangleur de Boston). Je tremble à fond après mon cri, Jagger finit le chef-d’œuvre mot à mot, et j’ajoute avec ce qui me reste de ma voix « And it hurts ! » de l’original (il ne le dit pas toujours en live). Les quelques petit-bourgeois-terre-à-terre incultes du public me regardent avec intimidation et choc. Je plane, et je les emmerde. D’autres, heureusement, ont rejoint une transe aussi sur ces 14 minutes et me comprennent très bien… Ca passe encore et encore trop vite, comme toujours, on en est déjà à « Gimme Shelter », ambiance apocalyptique, riffs de tonnerre, écrite dans le contexte de la guerre du Vietnam. Jagger s’avance sur la passerelle, et la choriste-soliste Sasha Allen la suit. Les paroles du refrain « War…Children… it’s just a shot away » me font penser à l’Ukraine. Se complétant par le chant en duo, et se tenant par les épaules les deux et tournant en rond sur la passerelle, à la fin du morceau, la partie plus calme «Love… Sister… it’s just a kiss away, it’s just a kiss away, kiss away… » me donne encore la chair de poule, après toutes ces années.. J’ai une pensée pour la sensationnelle Lisa Fischer dans ce duo que je n’oublierai jamais… une lionne a été remplacée par une guéparde, et oui, c’est seulement le core-band qui a droit de vieillir, pas le reste de la troupe… Je me revois aussi interpréter ce morceau comme chanteur avec un groupe rock dans un club à Genève dans une ambiance de folie, il y a quelques années. Rappel, et c’est déjà fini : je devrais continuer à dire « I can’t get no… », jamais rassasié. Pour regagner nos esprits une fois les Stones disparus, nous prenons un peu le temps pour acheter des T-shirts, et de nous désaltérer dans le stade.
Nous finissons dans une navette vers 2 h 30 du matin, pour nous ramener de l’Hippodrome de Longchamps à Porte-Maillot. Dépassant mon entendement et d’un acte spontané, le chauffeur enclenche « Start me Up » à fond la caisse, et tout le bus se met à littéralement gueuler et à se balancer sur les paroles « Start me me up… I’ll never stop … You make a grown man cry… » suivi des standards Stones “Beast of Burden » et « Brown Sugar » en guise d’after. En hurlant tout le reste des paroles de A à Z à part les refrains et les ponts, on m’a encore pris pour un Anglais… comme très souvent même au milieu de Genève, pourtant je suis bel et bien francophone, Suisse…L’osmose avec les fans parisiens dans la navette est totale. J’ai tellement rarement de ma vie pu partager ma passion pour les Stones avec un groupe entier de gens réuni spontanément, à part les concerts, j’en suis ici profondément touché. La difficulté avec les Stones pour beaucoup c’est de bien comprendre les paroles : même les Anglais comprennent à peine le slang blues noir américain chanté par Jagger, pourtant blanc et anglais, mais c’est l’influence énorme de la musique américaine sur les pierres, de Muddy Waters à Chuck Berry. Nous arrivons à l’hôtel vers 3h du matin, en pleine forme. Je me dis : ils ne vont et ne peuvent pas arrêter maintenant. C’est encore trop tôt et ils sont trop bons, il reste quelques belles années, et c’est maintenant. Charlie ne les aurait pas empêchés, au contraire. De toute manière, la rumeur de la « dernière tournée des Rolling Stones » date déjà de … 1969… Ils sont encore là. Mick, Keith and Ronnie, see you soon.
Setlist concert Paris 23 juillet 2022
Setlist du concert à Paris, 23 juillet 2022
Midnight Rambler (live):
Midnight Rambler en live à Paris, 23 juillet 2022
Gimme Shelter (live):