Je débarque sur une île sur le beau Danube bleu qui fait défouler, sauter, danser, hurler l’Europe entière pendant 5 jours. Partout tentes et camping – ou plutôt un séjour de survie ?- cet event attire les jeunes même depuis l’Australie. Ma nièce anglaise de 17 ans m’en a déjà beaucoup parlé…Et cela marche brillamment depuis plus de 20 ans déjà. C’est le « Sziget festival » sur une île industrielle de Budapest, en Hongrie. Chaque année, il y a au moins un ou deux groupes rock, plutôt indie, pour « en envoyer plein la gueule » sur des dizaines de stars actuelles autrement plutôt pop.
J’ai connu Arctic Monkeys plus en détail il y une bonne quinzaine d’années, sur place, d’où ils viennent : SHEFFIELD, UK. C’était déjà la folie des Monkeys, je visitais mon fraternel Axel-David qui étudiait là-bas en 2008 et qui m’a lui aidé à me mettre à jour à son tour ; je l’avais quant à moi initié au métal dans son enfance, pour ne pas dire au berceau. A Sheffield donc, tout le monde parlait et écoutait les Monkeys déjà en 2008, des colocataires chinois jusqu’aux pures p’tites anglaises des fêtes universitaires…Historique pour le rock, Sheffield c’est légendaire : Def Leppard ou encore Joe Cocker et les fameux Pulp en sont originaires. Le nord de l’Angleterre, c’est tout un univers de la musique.
Notre soirée sur l’île ce 15 aout 2022 est rendue encore plus agréable car nous partageons ce grand moment dans la zone VIP avec mon fraternel Axel-David et mon ami de jeunesse «LeMitch » qui nous ont rejoint spontanément de Genève. Trois ans d’absence de ces Arctic Monkeys, et nous attendons un retour en force. Alex Turner (chant/guitare) et son groupe démarrent très fort, c’est le post-punk des premiers albums, ça arrache, la batterie est rapide et puissante. Retour aux sources, sur les bases violentes, insolentes, pleine de colère et d’ironie. Ca crache, ça mitraille littéralement avec « The View from the Afternoon » trié du premier album (2006) et « Brianstorm » du deuxième album (2007). Axel-David mon fraternel se déchaîne, ce qui est plutôt rare, et connaît toutes les paroles, il doit repenser sûrement à Sheffield… Par ce début cru et fort Turner nous fait sous-entendre, je suppose, we’re still a fucking rock & roll band, at the end of the day: ça rock toujours, malgré l’expérimentation des albums récents, malgré le succès commercial, etc. C’est l’heure à la musique crue post-punk et indie parfois même hard-rock de la première heure et que ça fait du bien ! On a presque envie d’aller pogoter devant… Si vous voulez des hits fm, il faut aller voir Britney Spears ou Madonna….
Mon premier et véritable cri de délivrance – suite au romantique « Snap out of it » préférée de mon épouse Jerry- arrive cette fois avec « Don’t sit down ‘cause I moved your Chair» : j’ai hurlé cette même phrase, jusqu’à la scène…et en VIP nous n’étions pas tout près ! Turner m’a peut-être entendu… Mes cordes vocales le sentent… Je sens que l’adrénaline monte pour de bon. Des fans anglaises nous envahissent au fur et à mesure et chantent et crient/pleurent les paroles dès que les chansons deviennent moins violentes et plus récentes. Sur « Do I Wanna Know », on entend à peine Turner tellement ça crie et ça chante… en particulier les lignes du refrain sur «.. crawling back to you… » et même les couplets, c’est génial de voir les jeunes si entraînés. Un numéro que je ne suis pas prêt d’oublier pour l’avoir chanté moi-même en concert sur scène avec un groupe cover il y a quelques années… C’est un des chefs-d’œuvre du rock indie, ça me donne de l’espoir, vraiment. Du coup, je revois l’historique défiler : le revival du rock entre 2000 et 2010 :… la nouvelle British invasion, en fait avec beaucoup de groupes américains comme avec The Strokes, The Killers, et évidemment l’original british Arctic Monkeys… ils ont sauvé le rock….et peuvent franchement s’approprier le slogan réservé à The Strokes « The Saviours of Rock n’Roll ».
Souverain, l’artiste ultime, Alex Turner a mis ses lunettes de soleil, posé sa guitare et se penche en avant pour sortir les notes vocales les plus subtiles sur « Arabella », c’est attrayant…si j’étais une femme… (C’est vrai, comme on plaisantait, il ressemble physiquement pour de bon à mon fraternel Axel-David… ). Dans « Arabella » les couplets démarrent RnB ou presque hip hop inspirés par Dr Dre, puis soudain l’avant-refrain me fait trembler. L’effet live et la puissance des distorsions, je croirais que c’est du Black Sabbath…boom-riff-boom-arrêt, à la « War Pigs » : ils sont allés chercher des classiques du métal pour leur inspiration, c’est certain* :
My days end best when this sunset gets itself
Behind ---
That little lady sitting on the
Passenger side ---
It's much less picturesque without her catching
The light ---
The horizon tries but it's just not as kind on the eyes
(…)
Le refrain suivi du pont accélérant de « Arabella » puis le solo de guitare…putain ! Et je hurle «As Arabella uuuuhhh ! » au refrain. Je pleurs. C’est trop beau, je redeviens « headbanger » pour le morceau, je ne me contrôle plus, on doit me retenir…. Je souffle ce que je peux, puis, rassuré, je me dis : Le rock 'n' roll vit, il est là, tangible avec une démonstration pareille, il pénètre les sous-cultures actuelles aliénées du rock, de celui que nous avons connu dans notre génération. « Arabella » est l’apogée du concert. Voir le lien web plus bas pour se rendre compte!
Contrairement à Paléo, pas de vieux, pas de nostalgie, nous sommes dans l’actualité de la musique établie, n’oublions pas que le succès international de ces Monkeys n’est arrivé qu’en 2014 avec l'album "AM" (sans oublier le succès énorme en Angleterre depuis 2005 déjà). Sur l’île, des jeunes et très jeunes du monde entier, Le public est éclectique, nous sommes très loin du hard rock où du métal à l’état pure, les visiteurs se situent quelque part entre la culture rock/pop indie et la pop commerciale. On ne voit, par exemple, aucun signe des cornes avec les doigts (signe de solidarité entre les rockeurs et métalleux). Ce qui est énorme, c’est que par-là, même sans les symboles, l’esprit du rock pénètre la génération actuelle sans être ni trop commercial ni trop marginal, ou uniquement réduit à une survie sectaire. J'y vois une continuité dans les styles de façon très subtile, par définition sans simple répétition : il ne s’agit pas de copier Scorpions ou Led Zep. La musique évolue, mais mon espoir est que des éléments ainsi que l’esprit du rock perdurent. Je revois encore les soirées de folies euphoriques à Genève passées en compagnie de The Consumer Republic qui nous ont permis de nous défouler pendant une dizaine d’années avant leur adieu de 2018. C’est ça la vraie perte de Genève, pas la SIP. Ce cover band genevois et très international avait retracé pendant des années la tradition du rock en live avec des covers de AC/DC, U2 à Killers, White Stripes, passant par Led Zeppelin et le Stones, en y incluant des remix en version rock de tous styles, une ambiance et une énergie jamais vues dans la cité.
Si en 2022 Arctic Monkeys avec des distorsions et des riffs bien rock font bouger les jeunes dans leur sous-cultures relativement ouvertes et éclectiques, nous avons gagné. Comme nous le chantions avec Scorpions il y a quelques semaines à Saint-Julien, j’ai envie de redire « I am a Rock Believer… just like you… just like you ». Alors Sziget « Island of Freedom » ironiquement ou presque prospère dans un pays où la liberté est devenue très relative, sinon bafouée (exceptionnellement sur le coronavirus c’est heureusement très libre… il faut leur laisser…). Le dernier bastion de la liberté personnelle c’est toujours le rock ‘n’ roll, et cela a été pareil sous la dictature communiste. Je sais, je l’ai vécue.
*Effectivement, je ne le savais même pas en écrivant c’est ligne, je viens de voir que « Arabella » est même souvent mixé avec « War Pigs » en live, tellement l’harmonie est semblable. Cela n’a pas été le cas ici, mais j’entendais bien du War Pigs de Black Sabbath !
"Arabella" de Arctic Monkeys Live, Sziget Festival Budapest, 15.08.2022
"Do I Wanna Know" de Arctic Monkeys Live, Sziget Festival Budapest 15.08.2022
Setlist Arctic Monkeys Sziget Festival Budapest 15.08.22
Commentaires
I loved this narrative ! Really good to get the musical background mixed in with the personal links - I wish I was there but you
managed to bring it alive for me - thanks !
I particularly liked your politically sharp conclusion - the irony of the Island of Freedom in a country that has anti freedom laws and 90 percent of the media is state owned so the brain washing is intense . Still , what is sad that the average salary in Hungary being 500 -600 euros .. the Sziget experience is not available to all -
Merci pour ce premier commentaire, chère Madame! Bien à vous, Olivier
Je vous remercie pour ce commentaire chère Madame! Bien à vous.
Chère Madame, permettez-moi de traduire votre commentaire pertinent afin que le lectorat puisse en profiter:
"J'ai adoré ce récit ! C'est vraiment bien d'avoir le contexte musical mélangé aux liens personnels - j'aurais aimé être là mais vous avez réussi à le rendre vivant pour moi - merci ! J'ai particulièrement aimé ta conclusion politiquement pointue - l'ironie de l'île de la liberté dans un pays qui a des lois anti-liberté et où 90 % des médias appartiennent à l'État, donc le lavage de cerveau est intense. Mais ce qui est triste, c'est que le salaire moyen en Hongrie étant de 500 à 600 euros, l'expérience de Sziget n'est pas accessible à tous".